Doudoun Florentin

née Botton

née à Salonique en 1860, arrivée à Tunis dans les années 20, elle a vécu jusqu'en 1945, toujours active et pleine d'énergie

   Beaucoup de sympathie pour Nonna Doudoun, ma grand mère venue de Salonique, que j'appelais Nonà (accent sur le à). Lorsqu'elle est venue à Tunis (1925 ? 26 ?) elle avait déjà plus de soixante ans (65-66), ce qui ne l'a pas empêchée d'arriver à se faire comprendre en arabe, mais elle avait une prononciation particulière, elle déformait encore plus, les noms propres ... il y avait un Battuti, qu'elle appelait Battuto.

   Retour à Beaulieu et à ma grand mère. J'avais le sentiment qu'elle n'était qu'à moi, parce que ses trois autres petits-enfants, les Florentin, étaient à Paris, et ne sont venus qu'une fois à Tunis, à Beaulieu : l'été 38. Elle aussi, ma chère grand mère, avait un grand faible pour l'un de ses deux enfants, son fils Raphaël (prononcé Rofel) devenu Robert au moment de sa naturalisation.

    On parlait beaucoup de naturalisation, et, dans les années 30 ce n'était pas très facile à obtenir .

    Bon, ses occupations : du crochet, des points très élaborés - je me rappelle les robes qu'elle me faisait, surtout une, vert bouteille, à dessins festonnés ; un peu de cuisine certains jours de fête : ses spécialités, venues de Salonique , le sfongato (omelette ou plutôt gratin, le + souvent aux épinards), ses confitures, quel régal, quelle variété ! Très très active, et elle lisait la Bible. Il me semble qu'elle lisait en sa promenant, au jardin ... ah oui, le jardin aussi, elle y travaillait avec plaisir et efficacité. Comment la décrire, mince, les cheveux pas si blancs, elle les teignait mais je n'en avais pas conscience. Pas du tout élégante, à la fois non conformiste pour ce qui touchait à sa liberté et fortement pratiquante pour la religion et l'éducation : l'histoire de la très grande poupée mise à la poubelle parce qu'elle était toute nue, horreur ! C'est qu'elle avait dirigé une école et qu'on ne badinait pas !

   Solide et énergique, mais elle avait pourtant du diabète et ne devait pas manger de ses confitures. C'est juste les tout derniers jours de sa vie qu'elle a craqué et réclamé une part de crème au chocolat : on fêtait l'anniversaire de Zio Felice, le 22 juillet 1945, elle est morte le 13 août. Elle s'était cassé le col du fémur en janvier ou février, en revenant de rendre visite à une de ses amies, par un très mauvais temps, pluie, vent ; les autres ne sortaient guère et c'est elle qui allait les voir. Ce remords que j'ai ... Jeannot est venue m'appeler, vite, Madame Florentine est tombée, et moi je préparais mon bac, et je "ne savais pas" comment aider à la soulever, à la réconforter au moins ... et j'ai attendu qu'on l'ait remontée jusqu'au palier, je me le suis reproché longtemps. Col du fémur cassé, à 85 ans, en 1945, c'était la condamnation à ne plus se relever et c'est ce qui est arrivé, c'est aussi ce qu'a dit le docteur venu la voir et qui l'a dit tout haut, pensant qu'elle n'entendait pas, mais non, elle entendait parfaitement ... et ce regard qu'elle a lancé ...

    Elle a bien essayé de marcher un peu, elle est descendue, aidée, pour aller à Beaulieu au moment des vacances - j'avais passé mon bac et elle était contente, toujours aussi vive. Et puis à Beaulieu elle a eu des ulcères aux jambes, horrible. Mamie l'a soignée, mais c'était bien au-delà des soins, les plaies se rouvraient toujours. Le jour de sa mort, elle a eu un regard plein de lucidité, c'était zio Felice qui l'a assistée à ses derniers moments et elle a dit "aujourd'hui c'est Kippour", ce qui signifiait qu'elle mourait dans le pardon, dans sa foi.

   "Quand j'étais petite" et qu'elle allait de temps à autre à Tunis, elle me rapportait des pralines, j'étais toute contente. Mais d'elle on ne savait pas grand chose, sauf qu'elle était allée voir ses amies les Namias, certainement aussi des gens venus de Salonique. Mamie avait eu pour collègues "les demoiselles Namias", Juliette et Ernestine : elle redoutait Juliette, une intarissable bavarde … Juliette qui avait dit un jour, en parlant de sa mère, Madame Namias, "oui, elle va bien, un pied dans la tombe, un pied dehors …".

    Objets conservés ? je n'ai que sa bassine en cuivre, à faire les confitures. Oui, elle faisait de délicieuses confitures, très variées, et elle le faisait de façon "scientifique", avec un pèse-sirop, elle avait des carnets reliés en moleskine noire, et toutes ses recettes, je revois son écriture penchée … Mamie les a gardés longtemps. Très forte aussi, au crochet, jamais inoccupée, elle avait enseigné les travaux manuels, directrice d'école.

    Et ses lectures ? la Bible, toujours, je ne sais pas si elle lisait autre chose, et je me dis toujours que j'aimerais voir une de ces Bibles probablement en judéo-espagnol, mais les caractères ? Je crois bien que c'étaient les caractères hébraïques. J'aurais bien aimé la voir et l'avoir, cette Bible.

    Quant à mon grand-père maternel, il est mort très tôt, au cours de la première année que Mamie a passé à Paris, comme boursière de l'Alliance, càd 1905-1906. Je ne connais même pas son prénom.

 

   Elle a vécu une douzaine d'années à Beaulieu, où habitaient mon père et la famille de ZioFelice (c'est à dire mon oncle et ma tante, Zio Felice et Zia Ketty, leur fils Jojo était à l'école à Tunis et habitait avec nous. J'entends par "nous" Mamie, à l'époque "tante Ika", tante Marthe et zio Lou avec leurs trois enfants : Bichette, Lilo, Ninous (diminutif de Angelo), et "Didi" (ça c'est le dim. de Gilda). Revenons à Beaulieu, où nous retrouvons zio Felice et zia Ketty avec Nonà :

    Nonà Doudoun, énergique, facilement en colère, se lançant dans des imprécations en judéo-espagnol. Elle parlait parfaitement le français, mais pas quand elle se mettait en colère, ça non. Elle parlait le judéo-espagnol avec Zia Ketty, pas avec ma mère, ou du moins l'échange ne se faisait pas dans les deux sens. Et avec mon père alors ? parce qu'ils avaient souvent des échanges orageux, c'était peut-être en français, mais je ne me souviens pas ... - [oui, elle parlait espagnol et lui répondait en français, et faisait mine de répéter, toujours le même refrain, et il le disait en arabe, "aouda", ("et encore, et on recommence ...")]

   Seulement quelques photos mais infiniment de souvenirs, un peu figés à force d'être évoqués, mais c'est le sort des souvenirs :

   en studio, probablement à Salonique, seule et avec son fils Rafael ;

  à Beaulieu avec moi, trois personnages dont la grande poupée aux pieds troués.

 

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