"zio Cilio" et quelques autres

 

cette page fait un peu double emploi avec d'autres ... voir beaulieu

  

un portrait idéalisé ? mon père ce héros ...

 

   Il résumait ... il m'avait raconté une fois - je devais avoir dans les quatorze quinze ans et, bien que je n'aie jamais repensé à ce moment, il est présent, je sens l'atmosphère de confiance entre lui et moi, comme je l'écoutais avec passion. Lui, il se racontait, tel qu'il tenait à être, tel qu'il s'était voulu : au mépris de la douleur et des alarmes, des conseils qui n'ont pour résultat que de vous freiner, de vous brider, décidant de faire ce qu'il lui convenait, à lui-même. Il est jeune, il a foi en la vie, il ne veut plus être un pauvre infirme. C'était mon père ce héros. Et qu'est-ce qu'il racontait ? de quoi avait-il été l'acteur ?

   Les faits en eux-mêmes n'ont pas tant d'importance, mais c'est son image, cette image en vrai qui m'importe et que j'ai vue, bien des années plus tard, un soir pendant les vacances de Pâques. J'étais venue les passer auprès d'eux, à Tunis, et donc à Beaulieu. L'année ? 1955, certainement, puisque je ne l'ai fait que deux fois, en 1950 et 55.

   [Belgacem saoûl, sa femme, Gem'a, réfugiée chez nous, au premier, Belgacem criant, hurlant, qui voulait la battre, et mon père refusant de le laisser entrer, lui imposant sa parole, que l'autre n'avait pas à mettre en doute. Belgacem a fini par partir, seul, après bien longtemps. Et c'est alors que mon père a laissé voir qu'il tremblait, qu'il avait tenu bon, mais à haut prix.] 

    Avec Elia, nous avons évoqué ces moments, en août 2003, la dernière rencontre, (Armande ...) à la Celle St Cloud ... je ne me souvenais pas, cher Elia, que tu étais là ce jour-là ...mais tu es dans la Fiat, cette photo où tante ika est au volant, et sur tant d'autres ... (qui ne sont pas encore en ligne mais elles arrivent)

    Gamra : j'avais écrit Gamra, ne me souvenant pas du nom de Gem'a ... et ... je viens de l'apprendre par Elia : il me téléphone d'Israël, rentrant de son premier voyage à Tunis après quarante trois ans, émotion, m'a raconté Beaulieu, et Beaulieu ... il ne reste plus, de tous ceux que nous avons connus, que Khemis, très vieux, et justement la femme de Belgacem, comment s'appelle-t-elle ? je réponds Gamra, mais il sait que ce n'est pas ça et alors je me rappelle la vraie Gamra, beaucoup plus âgée, qui était la femme de Merdessi, et qui était si belle, on disait qu'elle avait un port de reine, c'était l'expression ... Le prénom Gamra signifie "la lune" et la lune est, en arabe, symbole de beauté ... (un proverbe l'affirme : "zey elgmar" ... comme la lune)

   

   Beaulieu et avant :

    Né le 23 novembre 1894, il est mort le premier mai 1958. Il était le troisième enfant, après Beppino et Ida. Beppino (diminutif de Giuseppe) a disparu à la fin de la guerre, en novembre 1918, sur le dernier bateau torpillé entre l'Italie et Tunis. Ida était la mère de Flora, Henri et Maxou. Elle était instit à l'Alliance, comme l'étaient son mari zio Remi et Mamie (Tante Ica pour ses neveux et nièces).

  Zio'Cilio donc, ses métiers successifs : préparateur en pharmacie autour de ses vingt ans, je crois bien que c'était en Italie. Puis, à l'époque où il s'est marié, où ils se sont mariés : voyageur de commerce, représentant pour la Tunisie en apéros et digestifs de marques italiennes. Le patron était un italien, Ferretti, qu'il appelait par son prénom, Alfredo. Il racontait comment il s'était débrouillé avec sa voiture, pas de permis à l'époque

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il s'était retrouvé avec une côte très dure à remonter, je me demande même si ce n'était pas un fossé ... et il essaye la plus grande des vitesses ... rien, la seconde ... rien non plus. Il n'imaginait pas que ce serait la première qui le tirerait de là ... Quant à la voiture, c'était probablement la petite Fiat décapotable qu'il a conduite jusqu'à la réquisition de toutes les voitures, à la déclaration de guerre en septembre trente neuf.

   et les petites bouteilles ... représentant des apéritifs, digestifs, de marques italiennes : Ferro China Bisleri, Vermouth Cora (Torino), Fernet Branca, Campari l'apéritif, Acqua Nocera Umbra, et encore beaucoup d'autres. Je me souviens de ces quelques noms, mais ce n'est même pas le dixième de sa collection, oui, il avait une collection de petites bouteilles d'échantillons, soigneusement rangées sur deux étages dans une petite armoire qui était placée au-dessus de la commode dans leur chambre à coucher à Beaulieu. C'était une petite armoire qu'il avait fait fabriquer, par quel menuisier ? était-ce Micaleff, qui venait souvent à Beaulieu ? il avait aussi des grandes moustaches, Micaleff, et il avait une façon de mastiquer, les moustaches remuaient ...

   L'armoire aux échantillons : il y mettait aussi des piles de monnaie, pour différentes payes, et j'en ai piqué pas mal vers mes treize-quatorze ans, jusqu'au jour où, sans dire un mot, il a enlevé la clef qu'il laissait toujours sur la porte et j'ai entendu dire "qui vole un oeuf vole un boeuf", sans un reproche direct, mais c'était clair et bien plus culpabilisant. Avec ces sous, j'ai acheté mes premiers bouquins, je veux dire acheté moi-même, chez Saliba.

 

   les années de guerre et la libération

  Les jolies petites bouteilles, il avait fait voeu de les distribuer à nos libérateurs en 43 (notre libération, à Tunis, date du 7 mai 1943. Nous avons été occupés par les Allemands, du 10 novembre 42 au 7 mai, avec une occupation "personnalisée" de Beaulieu pendant les trois dernières semaines, quand les Allemands se repliaient de toute la Tunisie sur la région de Tunis, le Cap Bon).

  Oui, pour donner ses chères petites bouteilles, c'est qu'il était heureux, il disait s'être promis de les donner, toutes, si les Anglais arrivaient. Ce sont les Anglais de la 8ème armée qui ont libéré Beaulieu, le samedi matin du 8 mai. Il n'y a pas eu de combats et c'est zio Lou qui, sortant de la grotte (à raconter, tout à l'heure) où nous étions réfugiés, tous sauf un (mon père), a découvert des tanks et des soldats Anglais qui lui ont parlé et à qui il a répondu chaleureusement ... nous savions tous parler plus ou moins parler anglais. La grotte, pourquoi ? il y avait, à quelques centaines de mètres de la ferme, deux grottes assez grandes pour être aménagées en abris et nous les avons habitées pendant les deux dernières nuits de guerre, couchant par terre, sauf moi (la honte !) pour qui ma très chère mère avait fait descendre un lit, avec des draps, ... et c'est Annie qui s'était approchée de moi pour me souffler que je pourrais partager le lit avec ma mère, ... dire que je n'y pensais pas ! Combien étions-nous dans ces deux grottes ?

   Pendant la guerre (les six mois de guerre en Tunisie, novembre quarante deux au sept-huit mai mil neuf cent quarante trois, nous avons été jusqu'à une soixantaine à habiter Beaulieu, on était arrivé à une pièce par famille, ou une famille par pièce, on avait nettoyé et aménagé des dépendances. Le sept-huit mai, parce que les Anglais sont arrivés à Beaulieu le huit mai, alors que la libération de Tunis avait eu lieu la veille.

    Alors la grotte ? c'est une question de deux ou trois jours, deux nuits peut-être, quand les avions américains sont arrivés par centaines, allant vers le Cap Bon, de jour, de nuit, avec les ballons éclairants, tout. Ils arrivaient en formation, en V ... on avait peur des bombardements, qui avaient déjà beaucoup tué de monde à Tunis. Qui n'avait pas peur ? mon père, Annie, d'autres peut-être. Mais, ces derniers jours de guerre locale, tout le monde est "descendu" dans la grotte, tous sauf mon père. Il n'était pas venu, peut-être aussi parce qu'il aurait eu du mal à descendre, avec sa jambe raide. Mais il aimait à dire que tant que l'heure n'est pas venue, on ne risque pas de mourir et il ajoutait qu'il se fiait à Santa Barbara benedetta.

   Pendant tous ces mois où Tunis a été bombardée, il a été livrer son lait tous les jours, avec "la calèche", la voiture que tiraient Grisette ou Margot, alternativement.    La calèche était équipée d'une banquette en bois, à deux places, et on plaçait derrière les bidons et toutes sortes de provisions, légumes, bagages...

    le Kram et la maison de Tunis ...

     20/08/99

 

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