le Kram ... Tunis ... Beaulieu

  le Kram et la maison de Tunis de Tunis

   A propos du Kram, c'est là que mes parents habitaient quand ils se sont mariés. Je suis née à Tunis, au Passage Romano, dans la maison au-dessus de l'école. Mamie avait un logement de fonction, un grand appartement de cinq pièces, un large couloir, une salle à manger, cuisine et un cabinet (on ne disait pas "les chiottes") où on entrait en montant une marche. Les pièces étaient beaucoup plus hautes que dans les appartements actuels, plus de quatre mètres de haut. Le Kram, c'est une petite banlieue que le TGM, tout électrique, reliait à Tunis, où il arrivait "sur l'Avenue", entre les fleuristes, les marchands de glaces, les promeneurs.

   Je crois bien que mon père y était né et que c'est là qu'il avait fait cette chute et s'est cassé la jambe, cette chute qui a donné lieu à plusieurs opérations sans réussir à la remettre en bon état. Il est est resté couché ou assis, incapable de marcher, pendant plusieurs années, il a passé ce temps-là chez les Levi de Leon, une famille amie de ses parents : Mme Levi de Leon s'appelait Gilda (Il évoquait les accouchements de Mamie, si difficiles, si douloureux, et se souvenait qu'au moment de ma naissance, il avait invoqué la protection de sa signora Gilda, et qu'en reconnaissance, il  m'avait donné son prénom.)

      Et il racontait qu'un jour, il avait décidé qu'il faudrait bien arriver à marcher. Il devait bien avoir treize ans. Aidé, encouragé par l'amour de cette famille qui l'avait en somme adopté ... il avait franchi cet obstacle, la volonté ... il l'avait éprouvée, il en vibrait encore trente ans après. Et dans la foulée, il avait aussi réussi à l'examen du certificat d'études avec mention TB.

      Puis il passait à une période vécue en Italie (à Gênes probablement), où il était préparateur en pharmacie, et un jour il s'était coupé profondément entre deux doigts, avait appliqué de la vaseline, bien serré le tout, et n'avait pas consulté de médecin. Tout cela ramenait à son aversion pour les médecins : il ne voulait plus en entendre parler.

      Après cet accident, survenu à sept ans, et toutes les opérations qui avaient suivi, il s'était bien juré de ne plus se fier aux médecins ... Et il est resté fidèle à cette idée,  jusqu'à ne pas soigner une pneumonie (les années 40), puis une phlébite, dix ans après, puis mourir jeune. Il avait constaté et retenu cette leçon qu'on ne pouvait pas faire confiance aux médecins, qu'on se trouvait mieux de les ignorer ... et il a hélas beaucoup trop négligé sa santé.

      Très tôt, il aimait à être considéré comme "le vieux", je pense qu'il l'entendait comme on comprend, en arabe, cheikh, qui signifie à la fois "vieux" et "sage".

      Après le Kram, nous sommes allés à Beaulieu, où Zio Felice, Zia Ketty et Jojo vivaient dejà depuis quelque temps, et où Zio Felice était officiellement un colon, diplômé qu'il était, de l'école d'agriculture de Djedeida (encore une école de l'Alliance). Voilà quel était notre mode de vie. Mamie étant instit à l'école de l'Alliance, rue Malta Srira, nous habitions le grand appart dont j'ai parlé plus haut, les jours de semaine, du lundi au vendredi, ou bien du dimanche soir au vendredi soir, après l'école. Le week-end se passait à Beaulieu.

   
   Qui habitait à Tunis, 2 passage Romano : il y avait deux appartements au-dessus de l'école de la rue Malta Srira, dans l'un les Moatti et la Nonna (Leonilda Nataf, on disait Nonna Linda), dans l'autre "nous", càd la famille du plus jeune des frères Nataf, Luciano (zio Lou) et aussi Jojo, Mamie et moi. La famille de Zio Lou, c'était Tante Marthe, Bichette, Lilo et Ninous. Nadine est née plus tard, en 42, alors qu'ils habitaient déjà à Forgemol, une banlieue de Tunis où Zio Lou travaillait. A Beaulieu, pour les vacances et les fins de semaine on retrouvait les autres Nataf, Zio Felice et Zia Ketty (les parents de Jojo), ma grand-mère Doudoun (Nonna Doudoun) et mon père qui rentrait à Beaulieu tous les soirs. Plus tard, après la guerre, ce n'était plus lui qui venait livrer le lait tous les jours et je me souviens qu'il passait le mercredi à Tunis, on le voyait arriver vers midi, on allait se mettre à table, et la joie de son "Et bonjour !" illuminait la maison. Et bonjour ! [rythme : deux doubles croches, une noire]. Un grand nombre de photos qui sont dans les deux albums et dans la petite valise (que j'ai mise dans un des cartons rouges) ont été prises à Beaulieu. Nous avions toujours beaucoup de monde, et quand je suis venue à Paris, Mamie m'écrivait toujours en me racontant qui était venu le dimanche - elle m'écrivait bien deux fois par semaine, et j'ai conservé toutes ses lettres jusqu'en 58 ou 59 : là, l'argument, répété, prétexte ... du manque de place, auquel j'ai fini par céder, bien à regret - c'était effacer une partie de ma (et pas seulement pas de ma) vie, dommage. [Tiens, c'est l'un des mots "dommage" qu'on utilisait dans la famille, pour exprimer pas seulement le regret mais une certaine impossibilité de revenir en arrière].
   

   

 

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