En fait je n'ai connu que mes deux grand-mères. Mon grand-père paternel, Angelo Nataf, ce "Nonno Angelo" qui a pourtant fait partie de notre vie de petits-enfants longtemps après sa mort, a disparu en 1929, et je ne me souviens pas de lui puisque je n'avais alors qu'un an, mais nous en avons tellement entendu parler, une vraie légende, un homme simple et bon, un juste.

   Son métier ? "Angelo Nataf, commerçant", selon une plaque que Lilo a retrouvée en débarrassant sa maison en novembre 97, au moment de son déménagement. Mais nous n'avons jamais entendu parler d'une autre activité que celle de "mohel". Il était un spécialiste renommé des circoncisions. Jojo a (avait) des photos qui le montrent dans des familles, ou à la synagogue (la syna, comme disent les petits-enfants de Jojo et Odette).

 

    Les grand-mères, donc : Nonna Linda. Elle enseignait le français dans une école italienne et l'italien dans une école française. A eu neuf enfants, dont six sont parvenus à l'âge adulte. Je l'ai connue vêtue de noir, cheveux blancs relevés, beaux, frisés, qui formaient un tout petit chignon. Elle était très fière de ses cheveux, blancs à trente ans. Aimait bien parler beauté, évoquer les admirateurs de ses petites mains, critère d'élégance ... Plutôt pincée, exclusions, discours de repli affecté : "chi non mi vuole non mi merita", disait-elle en faisant celle qui doit supporter qu'on la néglige, faisant allusion à l'une ou l'autre de ses belles-filles.

   On ne peut pas imaginer de femmes plus différentes que mes deux grand'mères. Toutes deux pourtant avaient exercé le même métier d'enseignante. Mais ma grand'mère Doudoun était véhémente, se moquait de ce qu'on pouvait penser d'elle.

   La-nonna en un seul mot parce qu'elle était la grand'mère de nombreux petits-enfants avait une dignité toute matriarcale. Langue maternelle l'italien mais elle parlait bien sûr et le français et l'arabe.

   Elle m'a offert deux livres : "le avventure di Pinocchio", une belle édition illustrée, que j'ai toujours. Certaines illustrations étaient effrayantes, fantastiques. Le second livre, plus tard, était la traduction de "Cuore", d'Edmondo de Amicis, l'histoire édifiante des luttes pour l'unité italienne et la libération du joug impérial ... C'était devenu "grands coeurs" en français. Et ... avec qui ai-je pu en parler, quelque soixante plus tard ? Avec Zvi Dagane, le génial et sympathique militant-professeur de yiddish avec qui nous avons commencé cette belle aventure, en janvier 1995 ... ! "incroyable mais vrai" !

   Mon père et Zio Felice se disputaient, disons qu'ils avaient des échanges plutôt vifs. Ils commençaient à discuter en français, mais dès qu'ils s'emportaient, ils ne pouvaient pas faire autrement que continuer en italien ; et c'était "Signor si" "Signor no", après chaque argument, un peu comme à l'opéra.

    Tout le monde criait, dans ce pays, sauf une, Mamie, bien sûr. Elle n'a jamais aimé ni parler fort, ni se livrer à des ragots, petits potins ...

 

   "incroyable mais vrai" ... c'était une rubrique du "Journal de Mickey", le grand favori de nos années trente. Toute la famille le lisait, et mon père appréciait beaucoup cette rubrique-là et aussi "qu'en dites-vous". Un abonnement de plusieurs années, tous les numéros conservés puis reliés en un énorme volume et deux plus petits. Ils ont été lus relus et rerelus par les générations suivantes, jusqu'au départ de Tunis (1958, après le décès de mon père).

 

origines

 

 

mes grands-parents,

un peu de tout